LES MONDES DE MARJOLAINE DEGREMONT : Quand on les aperçoit rangées dans un coin d’atelier, comme une étrange forêt en attente, on espère des Echelles de Marjolaine Dégremont qu’elles vont se déployer dans l’espace. On désire voir, avec leur blancheur de craie et leur apparence grêle, les deux univers qu’elles entendent réunir. A moins qu’elles ne demeurent serrées, denses comme des branchages, impénétrables. A taille presque humaine — mais pas tout-à-fait justement — pour qui sont-elles destinées ? Elles nous invitent physiquement mais, dans leur gracilité, elles refusent qu’on y pose le pied. Fruits de l’imaginaire, elles ne se sont pas incarnées encore tout-à-fait dans le réel. Les œuvres de Marjolaine Dégremont se déploient ainsi en mondes tout proches, et cependant aussi inaccessibles que des décors de théâtre. Il y a ces robes blanches d’enfant, suspendues comme des fantômes, légères et tristes, immaculées et mordues par des insectes géants comme par le temps. Plus personne ne les mettra mais leur présence est sensible et dérangeante. Elles se font remarquer comme le souvenir des êtres disparus. D’une manière générale, la blancheur domine. C’est l’une des spécificités du travail de Marjolaine Dégremont, cette blancheur qui ôte aux choses, subrepticement, un peu de leur réalité, qui les apparente à des maquettes d’objets à jamais irréalisables ou qui les transporte dans l’opacité du souvenir. Elle nous permet aussi de ressentir plus crûment les émotions qui les traversent, comme celles des figurines de Petit Monde, à peine sorties des mains de l’artiste et déjà mues par les sentiments qui nous agitent continûment. On se promène ainsi d’un monde à l’autre, des figurines du Petit Monde aux Cellules austères et surprenantes, des Refuges biscornus aux Tables mystérieuses. Toujours, l’imaginaire doit se réadapter et le corps aussi, car chaque œuvre exige du spectateur un engagement physique et sensible différent, ainsi quand l’œuvre soudain prend une ampleur théâtrale, se dote de son, se dote d’un message plus politique. On doit pouvoir plagier Maurice Blanchot, qui disait que le lecteur fait l’œuvre : de même pour le spectateur, devant les œuvres de Marjolaine Dégremont, et ce parce qu’elles le demandent.
Anne Malherbe
Marjolaine Dégremont est née à Buenos Aires en 1957 et vit actuellement entre Paris et la Marne.
Artiste et activiste, elle est autodidacte.
Son travail traite du rapport entre Soi, l’espace et l’Autre.
Il prend des formes très diverses et labyrinthiques avec un fil autobiographique constant, il défend par la même une grande dimension de liberté. Nombre de ses projets ont imaginés des croisements entre sculpture, intervention in situ, installation sonore, littérature et idéal politique.
Très diversifiée sa production forme pourtant un ensemble cohérent, entre abstraction et figuration, un aller-retour permanent entre Soi et l’Autre, l’intérieur et l’extérieur, la forme architecturée et l’aléatoire.